Lorsque nous avions rencontré Jean-Marie Vauclin et Daniel
Derval (voir cet article) il y a maintenant plus de deux ans, ils nous parlaient déjà avec
enthousiasme d’un de leurs anciens collaborateurs, rencontré sur le tournage
d’une comédie franchouillarde, et avec qui ils étaient restés amis depuis toutes ces
années.
Il s’agissait d’Alain Nauroy, qui a quelques fois occupé le
poste de réalisateur, mais a surtout été assistant, pour quelques cinéastes
dont les noms parleront aux amateurs de comédies hexagonales : Serge
Korber, Philippe Clair, Hervé Palud, Edouard Molinaro, Robert Thomas, …
Jean-Marie Vauclin nous décrivait Alain comme un
assistant-réalisateur très doué, adoré par les acteurs.
Et quand on parcourt les titres de sa filmographie, cela
fait encore plus rêver : Mon curé chez
les nudistes, Les surdoués de la première compagnie, Brigade mondaine :
Vaudou aux Caraïbes, Charlots connection, Ces flics étranges venus d’ailleurs,
Les Brésiliennes du bois de Boulogne, Rodriguez au pays des merguez, et bien d’autres encore…
Lorsque nous avons enfin rencontré Alain, il a toutefois
voulu modérer nos attentes, en minimisant son rôle : en tant qu’assistant,
il n’était pas impliqué dans le processus créatif des films, et pour certains
tournages il ne garde que des souvenirs sans lien direct avec l’œuvre.
La rencontre a tout de même été très agréable, et ci-dessous
vous trouverez un condensé de notre interview ; j’ai fait à l’écrit le même
travail que j’aurais fait avec un montage vidéo, en rajoutant entre crochets des annotations et précisions. Les rajouts les plus longs sont en orange pour mieux les démarquer des réponses d'Alain.
Ce témoignage peut se voir comme un complément de la vidéo
sur Jean-Marie et Daniel ; il nous parle d’une certaine période du cinéma français,
où la comédie et le film porno ou érotique s’entremêlaient parfois dans la
filmographie d’un même cinéaste, comme ça a été le cas pour Max
Pécas ou Michel Caputo.
Ce témoignage met aussi en lumière les aléas méconnus d’une
carrière dans le 7ème art, portée par le hasard plus que par des
choix, et marquée aussi bien par les occasions manquées que celles qui ont été
saisies.
Alain (en bas à gauche) sur le tournage de Les feux de la chandeleur. |
Comment as-tu débuté
dans le cinéma ?
J’ai débuté dans le cinéma par d’abord un désir fou de faire
de la mise en scène. J’étais désireux de faire des films sentimentaux,
romanesques, qui allaient de Géant à Autant en emporte le vent.
Je suis parti pour Paris à 18 ans, et je ne savais pas bien
comment rentrer là-dedans, parce que les gens normaux, ils faisaient l’IDHEC
[l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques], et moi j’avais pas la fibre
des études.
J’avais la chance d’être au service de presse d’un festival
de courts-métrages à Tours, et donc je rencontrais des gens pour faire des
articles dans le magazine quotidien de ce festival. Et c’est comme ça que j’ai
été amené à rencontrer Serge Korber, que d’ailleurs j’ai d’abord pris pour
Claude Chabrol !
Et du coup, je l’ai baratiné d’une manière telle que mon
enthousiasme de cinéphile a séduit Serge Korber et son épouse. Serge
faisait des tas de courts-métrages, et peu à peu, il m’a apporté… enfin, il m’a
supporté ! C’est un grand mot, mais c’est vrai que je ne savais rien !
Alain, à gauche, dans son rôle d'écossais. |
La première fois que j’ai été assistant, c’était en 1965, et
c’était un film de Serge Korber, Le
dix-septième ciel, et donc là j’étais deuxième assistant. [Sur
certains tournages, le réalisateur a non seulement un premier assistant
réalisateur, mais aussi un second assistant, placé en-dessous dans la
hiérarchie.]
Mais
surtout j’étais acteur. Et je jouais [un rôle] dans un hôtel dans lequel il n’y
avait aucun client, sauf moi, un écossais, qui disait toujours « It is a
strange country ».
Donc ça c’était mon premier long-métrage ; le vrai film
comme premier premier assistant c’était dans Le distrait, de Pierre Richard.
Parce qu’avec Pierre Richard, on avait fait un
court-métrage, dont je ne me rappelle presque plus l’histoire, mais je me
rappelle le titre : ça s’appelait Une
starlette au haras [jeu de mot sur le nom de l’héroïne d’Autant en emporte le vent, Scarlett
O’Hara].
Et Pierre Richard jouait dans ce film et l’a [co-écrit avec
Bernard Guillou]. J’étais son homme à tout faire, et on avait beaucoup
sympathisé. Et quand il a obtenu le financement de la Gaumont et de [Les
productions de] la Guéville pour faire Le
distrait, il m’a appelé.
Peux-tu expliquer en
quoi consistaient tes tâches en tant qu’assistant ?
Le travail d’assistant, ça a été ma première déception,
parce que je croyais naïvement qu’il s’agissait d’une fonction artistique,
alors que c’était un travail d’organisation. On fait le plan de travail, on
fait les feuilles de service, … ça n’a rien d’artistique.
Alors la seule chose agréable c’est que quelques fois, comme
certains metteurs en scène, comme Philippe Clair, jouaient aussi un rôle dans
leurs propres films, j’étais amené à diriger certaines scènes. Ça, c’était
gratifiant !
Une chose aussi c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de
directeur de casting. Donc l’assistant, souvent, [s’en occupait].
Et moi j’ai fait des castings de films, y compris par
exemple pour le film de Philippe Clair, Comment
se faire réformer ; c’est comme ça que j’ai rencontré d’ailleurs Daniel
Derval.
Mais j’ai une chose dont je suis assez fier : j’ai fait
le casting d’un film de John Frankenheimer, qui s’appelle L’impossible objet, avec Dominique Sanda et Alan Bates. Et
l’histoire était celle d’un peintre surréaliste, et à un moment
donné, il rêvait de tableaux de [Paul] Delvaux qui s’animaient. Et
donc j’ai fait tout le casting [pour les personnages de ces tableaux].
Mais il y a aussi autre chose, c’est que je participais
souvent au choix des costumes des comédiens.
Je peux participer aussi au choix des décors. Par exemple on
tournait le clip de la chanson Mirador
de Johnny Hallyday, et puis en repérant, puisque j’avais trouvé le décor [de la prison], je
dis au metteur en scène, Hervé Palud, « Et si j’étais un
prêtre ? ».
Et c’est comme ça que je suis dans le clip, on me voit
bénissant les prisonniers.
Ce n’est pas indiqué
dans ta filmographie, mais tu as aussi été stagiaire sur L’homme orchestre
(1970), toujours de Serge Korber.
C’était mon plus long stage ; parce qu’elle a duré 24
semaines, cette expérience !
Et surtout, ce qui était très rigolo, c’est que mon rôle
consistait à rameuter les danseuses qui étaient au moins 20 et qui
s’éparpillaient aux quatre coins des studios de Billancourt.
Je n’ai jamais couru derrière autant de femmes de toute mon
existence !
Contrairement à ce
qu’on peut lire sur IMDb, ton premier film en tant que metteur en scène est La villa / Le feu au ventre, sorti en 1975, soit après environ 10 années où tu
étais assistant.
Comment es-tu passé à
la réalisation ?
J’avais écrit un film qui était une adaptation gay de Manon Lescaut, de l’abbé Prévost, sauf
que c’était Manuel Lescaut. Et tout
ça est tombé à la rue, et alors un producteur qui débutait, Jean-Pierre
Sammut, a dit : « Écoute, je peux pas te produire ce film, mais on va
faire un film ensemble, un film érotique. Ça te fera une expérience. »
Et c’est comme ça qu’on a fait La villa. Ça s’est vite fait, j’ai fait écrire le scénario par
Michel Vocoret.
[Vocoret
était un acteur-scénariste-réalisateur lui aussi habitué au film érotique et à
la comédie franchouillarde ; il compte dans sa filmographie des films tels
que Embraye
bidasse… ça fume, A bout de sexe, et Le retour des
bidasses en folie.]
Et puis nous avons tourné [La villa] dans la foulée. C’est mon premier film comme réalisateur et c’était un film
dit "érotique". Sauf qu’on est passés, sans transition, pendant
quelques mois, du cinéma érotique au cinéma pornographique, et que ce film a
été ensuite post-bidouillé, et on y a rajouté, à mon corps défendant, des
scènes pornographiques.
[Car après
l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, il y a eu en France un
relâchement de la censure, permettant la distribution de films pornographiques.]
Qu’est-ce qui fait
que tu as continué dans cette voie après ce film ?
Mon jeune producteur, Jean-Pierre Sammut, n’a pas réussi
à mettre sur pieds avec moi un autre long-métrage, et du coup j’ai accepté
quelques propositions pornographiques de survie, si je puis dire.
J’ai [réalisé] quelques pornos, mais ça ne me rendait pas
heureux. Dès que j’ai eu une proposition, je me suis retrouvé heureux
de redevenir assistant.
La seule chose curieuse à dire, c’est que tout
pornographique que fut cette période de films, il y a quand même quelques uns
de ces films qui avaient un peu d’ambition, et il y avait des fois de vrais
acteurs.
Dans Lâche-moi les
valseuses, qu’avait écrit pour moi Hervé Palud [le futur réalisateur d’Un indien dans la ville et Mookie], et dans lequel il joue, j’avais réussi quand même à obtenir
comme acteurs Philippe Clair, Roland Blanche [Nikita, Bernie, Les compères, …], Philippe Khorsand [Les compères, Inspecteur La Bavure, …].
[Bien que Lâche-moi
les valseuses soit un film érotique, tous les acteurs mentionnés ci-dessus ne sont pas impliqués dans les scènes de sexe.
Philippe Clair, le
fameux réalisateur de La grande java, Le fürher en folie, et Plus beau que moi, tu meurs, tient un rôle comique de pompiste, dans une
scène qui ressemble à un sketch déconnecté du reste du film.]
Alain Nauroy et Philippe Clair. |
Nous, Lâche-moi les valseuses, on l’a tourné en 12 jours, et Philippe Clair était très impressionné : « Mais comment vous arrivez à faire un film en 12 jours ? Moi, le dernier, Le grand fanfaron, j’avais 12 semaines », et il m’a dit : « Alain, tu vas venir avec nous ». Et il m’a engagé pour faire Comment se faire réformer, et c’est là qu’a commencé une collaboration et de l’amitié.
On a finalement tourné Comment
se faire réformer, je sais pas, je dirais peut-être en 4 semaines, et ça,
ça l’avait impressionné.
[Comment se faire
réformer fait partie du sous-genre
cinématographique du film de bidasses, un type de comédie populaire en France
dans les années 70-80, tournant autour de l’armée et de soldats souvent
tire-au-flanc, à une époque où le service militaire était encore obligatoire.
Alain en a tourné un
lui-même, Faut s’les faire… ces légionnaires, sorti en 1981. Le film se démarque surtout par quelques gags visuels
à l’esprit très cartoonesque.
C’est par ailleurs sur
ce tournage que se sont croisés pour la première fois Daniel Derval et
Jean-Marie Vauclin, bien qu’ils aient peu de scènes en commun.]
Peux-tu raconter
comment tu en es venu à réaliser ta seule comédie, Faut s’les faire… ces légionnaires ?
Tout le monde en faisait, des bidasseries, et à un moment
donné, après des années où, sur ces bidasseries, j’étais assistant, un
producteur me dit : « Écoute, c’est bien gentil, mais tu vas nous en
faire un toi aussi, un film de bidasses ? ». Alors, d’accord, mais ça
sera pas des bidasses dans une caserne, comme dans tous ces films-là, ça sera à
la Légion !
Et le producteur en question, c’était Jean-Pierre Rawson, il
m’a dit : « Eh bien on va se débrouiller », et en un coup de fil
à Tunis, à Tarak Ben Ammar, qui à l’époque était un producteur qui montait, qui
était aussi en cheville avec Hollywood, il a tout de suite accepté de nous
recevoir.
On s’est retrouvés quelques jours après en Tunisie, et là,
avec la complicité [du scénariste] Victor Beniard, et aussi de Daniel Derval,
qui était du voyage comme acteur, nous avons écrit en quelques semaines le
film, puis nous l’avons tourné.
Et c’est vrai que c’était ma première mise en scène
"officielle", et comique.
Est-ce que tu peux me
parler plus en détail du film ?
Je peux pas en dire grand chose parce que, tu sais, c’était
un film à exécuter tambour battant, parce qu’on avait un petit budget. On
aurait dit que c’était un acte magique, tu sais : on te propose de faire
un film, tu appelles un producteur, qui… à l’époque, Tarak c’était pas
n’importe qui, il préparait Pirates
de Polanski en même temps, et en plus, juste avant que nous arrivions, il
hébergeait le tournage des Aventuriers de
l’arche perdue [en tant que "production coordinator"].
Ce qui fait que quand il est parti, Spielberg, moi le
lendemain j’arrivais, et j’ai hérité de son assistant, Youssef Lakhoua. Et
d’ailleurs on a tourné dans des lieux que Spielberg avait utilisés aussi !
Qu’est-ce qui fait
que tu as arrêté la réalisation, peu après ce film ?
Il y a eu un événement un peu triste, c’est qu’aussitôt
après Les légionnaires, un
producteur, je crois que c’était Jean Luret, me propose de réaliser une
comédie, encore une. Et avec un ami de Daniel Derval, Jacques Gelat [crédité en
tant que "Jacques Paradis"], nous avons écrit une comédie qui
s’appelait Les p’tites têtes ;
malheureusement, pour que le film se fasse, il fallait que le rôle principal
soit interprété par Bernard Menez. Et Bernard Menez a dit « D’accord,
moi je veux bien jouer le rôle principal, mais je veux réaliser ». Donc
j’ai été dépossédé de la réalisation des P’tites
têtes, dont je suis seulement le co-auteur.
Et puis après, je ne voyais plus rien venir, je ne voyais
plus de projets d’écriture, je ne voyais plus de propositions de mise en scène,
je me disais « Je vais pas rester pendant deux ans à ne rien faire », et…
bah, dès que l’assistanat est revenu… après tout, c’est ce que je sais encore
faire le mieux.
Si tu devais faire le
bilan de ta carrière, de quoi est-ce que tu es le plus fier ?
Oh, je crois que je suis le plus content d’avoir existé,
d’avoir finalement, comme je le voulais, pu faire du cinéma, et le faire
pendant plus de 60 ans, au moins. Donc finalement, je suis fier de rien, je
suis fier d’avoir duré !
Je continuerai d’aimer le cinéma, mais avec une espèce de
passivité ; je ne vois pas les films nouveaux, je trouve que j’ai
suffisamment de… comme disait Baudelaire – je paraphrase – il disait :
« J’ai plus de livres en moi… », moi je dis : « J’ai plus
de films en moi que si j’avais 1000 ans ». Et j’aime bien citer
Baudelaire, donc ça fait une belle conclusion !
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Pour finir, précisons
qu’Alain a pu nous informer qu’une certaine rumeur était fausse : selon
plusieurs sites, dont IMDb et Wikipedia, Igor Aptekman, le scénariste notamment
d’Un Indien dans la ville, serait un
pseudonyme de Jean-Marie Pallardy, le réalisateur du nanar culte White
fire.
Il s’avère en fait
qu’Igor Aptekman n’est pas la même personne ; il existe bel et bien, et il
n’utilise pas de pseudonyme.
Cette interview s’est
faite avec l’aide de Jean-Marie Vauclin, Daniel Derval, et Gabriel Gerbaulet.