samedi 15 janvier 2022

Comparaison film / livre : Starship troopers de Paul Verhoeven / Étoiles, gardes-à-vous ! de Robert Heinlein


Starship troopers est un roman de Robert Heinlein paru en 1959 (et sorti bien plus tard en France, en 1974, sous le titre Étoiles, garde-à-vous !) ; son adaptation réalisée par Paul Verhoeven est sortie en 1997.
Vous le savez sûrement déjà, le film a été incompris à sa sortie par certaines critiques, prenant au sérieux ce que le cinéaste voulait pourtant moquer : une idéologie fasciste et militariste, avec des personnages qui, pour certains, ont carrément des uniformes inspirés de ceux des nazis !
Encore aujourd’hui, l’aspect satirique du film semble être une révélation pour certains (il suffit pour le constater de voir certains articles récents sur des sites américains ou des commentaires sous des vidéos Youtube), tandis que d’autres personnes, penchant très à droite, persistent à vouloir prendre au pied de la lettre ce que Verhoeven tournait en dérision.
 
Le roman, par contre, a la réputation d’être, lui, réellement fasciste et beaucoup plus premier degré ; Verhoeven lui-même racontait ne pas avoir lu plus de deux chapitres, trouvant le livre ennuyeux et trop de droite. C’est son scénariste Ed Neumeier qui lui a raconté le reste, et le duo a travaillé sur le film en essayant autant que possible de s’éloigner de l’aspect militariste du livre.
N’étant personnellement pas friand du film (eh oui, désolé de vous décevoir), je me suis forcé à lire le livre par curiosité et par esprit de complétion. Je ne pensais d’ailleurs pas écrire à son sujet, mais il y a finalement beaucoup à dire.


Le roman et le film diffèrent énormément, même si leur structure narrative est similaire : dans les deux cas, ça débute en plein combat, avant de nous ramener au moment où les personnages terminent leurs études, obtiennent leurs diplômes, et décident de s’engager dans l’armée, après quoi on suit leur entraînement puis leurs combats sur d’autres planètes.
Malgré les points communs d’ensemble, c’est dans le particulier que les différences entre les deux œuvres s’accumulent.
Si dans le film les personnages ont des tenues militaires, des protections, et des armes relativement simples, qui sont proches de l’équipement contemporain tout en ayant un look un peu plus futuriste, on apprend d’emblée dans le roman que les soldats combattent dans des scaphandres qui leur permettent de sauter très haut, se déplacer très vite, résister à la chaleur, communiquer avec les autres, et ils sont équipés d’armes plus sophistiquées, dont des lance-flammes et des lance-missiles.
Leurs ennemis sont un peu plus variés que dans le film : il y a des créatures à l’aspect squelettique, et toujours des insectes géants, mais capables d’utiliser des armes à feu et de piloter des vaisseaux ! Les humains sont donc conscients de leur intelligence, contrairement à certains personnages du film (ce qui permet d’avancer un propos sur la déshumanisation de l’ennemi pour se débarrasser de tout scrupule quant à son élimination).

Tandis qu’une bonne partie du film repose sur des séquences d’action, le roman passe très peu de temps à nous raconter les combats ; sa démarche est avant tout de nous décrire le fonctionnement d’une armée du futur, dans ses moindres détails.
Heinlein s’attarde beaucoup plus longtemps sur l’entraînement militaire ; le roman dans son édition française fait 315 pages, et ce n’est que vers la moitié qu’on quitte enfin le camp d’entraînement.
Mais même une fois que la guerre a démarré et qu’on a le premier combat, le livre continue à décrire le quotidien des soldats, à parler de la hiérarchie, de la discipline, …
Puis on passe à un autre lieu, à bord d’un nouveau vaisseau ou à l’école d’officiers par exemple, et on nous raconte ce qui se passe quand les soldats ne sont pas au combat, leurs exercices, les cours, les repos, les permissions, le protocole, la répartition des personnes dans le vaisseau, … C’est très fastidieux et ennuyeux.
Et surtout on se rend compte à plusieurs reprises que l’auteur prend plaisir à décrire ce qui serait, pour lui, l’armée idéale, puisqu’il passe de nombreuses pages à expliquer en quoi celle-ci est mieux organisée que l’armée du 20ème siècle !
 
Je dois dire qu’idéologiquement, avant de lire le roman, je m’attendais à pire, mais mon avis a fluctué à plusieurs reprises, parce que sur certains points, Heinlein est plus raisonnable et mesuré que ce que je craignais, et sur d’autres il adopte des points de vue beaucoup plus gênants.
Déjà, contrairement au film où les soldats tirent sur tout ce qui bouge et qui ne ressemble pas à un être humain, les soldats du roman s’abstiennent de tuer quand ce n’est pas nécessaire, en distinguant notamment les ouvrières et les soldats parmi les Punaises.
Dans le film, la scène où un des soldats se prend un couteau dans la main a un effet comique et sert à montrer dans des proportions absurdes le caractère impitoyable de son supérieur ; dans le livre, la scène prend une toute autre direction, puisque l’instructeur se sert de ça comme point de départ pour un discours en faveur d’un "usage mesuré et contrôlé de la violence" : pourquoi utiliser des armes à feu ou des bombes nucléaires pour tuer son ennemi, si ce n’est pas nécessaire, et s’il suffit de le désarmer avec un lancer de couteau ?
Là-dessus, Heinlein est moins radical que ce que j’imaginais, mais d’un autre côté, il nous dépeint quand même une armée qui forme ses soldats et les endurcit en passant par des châtiments corporels extrêmes ou en les laissant carrément mourir.
 

Heinlein a beau présenter un futur dont les usages sont parfois extrêmes, il ne semble pas en être critique, contrairement à Verhoeven (notamment dans la scène du couteau, que je mentionnais).
J’ai lu certaines personnes défendre Heinlein en émettant la supposition que l’auteur cherchait à montrer l’endoctrinement de son héros par l’armée. Mais à part pour véhiculer sa propre pensée, je ne vois pas pourquoi Heinlein consacrerait autant de pages, tout au long de son livre, à laisser des personnages justifier la discipline, les châtiments corporels, la rigueur, même dans des proportions absurdes (on parle du droit de tuer un soldat s’il fait preuve de couardise face à l’ennemi, et on ordonne arbitrairement à un soldat durant l'entraînement de rester sur place sans bouger même s'il doit en mourir).
Les personnages, aussi bien à l'école que durant leur service militaire, suivent régulièrement des cours d’histoire et de philosophie, où on leur explique notamment pourquoi leur gouvernement est plus efficace que tous ceux qui ont existé dans le passé, parce que le droit de vote a été accordé uniquement aux citoyens, à savoir d’anciens militaires qui ont prouvé qu’ils plaçaient l’intérêt du groupe au-dessus de l’intérêt personnel.
On pourrait sans mal contrer ces idées avec d’autres arguments, mais je doute que ça soit voulu de la part de l’auteur.
Dans le film, on n’a droit qu’une seule séquence où un professeur véhicule ce genre de pensée à ses étudiants, et on y montre surtout l’absurdité d’un personnage belliqueux, dont les réflexions reposent sur des sophismes. 
 
Le plus perturbant est assurément tout ce chapitre où le héros déroule sa pensée pour justifier la peine de mort, tout en critiquant le laxisme de la justice du 20ème siècle. Un chapitre qui ne sert à rien d’autre qu’arguer que pour certains criminels, la réhabilitation n’est pas possible, et qu’il vaut mieux les tuer.
Même si le héros ne formule jamais clairement sa pensée ainsi, en ne terminant pas tout à fait une de ses phrases, c’est ce qu’il veut nous amener à comprendre.
C’est d’autant plus vicieux que Robert Heinlein fait parler son personnage depuis le futur, depuis une position où il sait comment les choses se sont passées à notre époque, et peut donc juger que la sienne est meilleure, surtout que dans ce récit fictif, l’auteur a décidé que le laxisme de la justice était ce qui avait causé "l’éclatement de la république d’Amérique du Nord" au 20ème siècle.
 

Je me demande ce qui a lancé le projet d’adaptation en film, presque 40 ans après la sortie du roman. Visiblement, ce n’était pas une idée de Verhoeven, et sa démarche d’aller à contre-courant du livre ne s’est faite qu'après qu’on lui ait proposé le projet, je suppose. Il racontait lors d’une masterclass à la Cinémathèque que personne, parmi les dirigeants du studio, ne se préoccupait du tournage pendant qu’il était en cours, et ils ont découvert après avec surprise toutes ces allusions au nazisme dans les décors et les costumes.
En lisant le roman, on se rend compte que pleins de ses éléments ont été repris par le film pour en faire totalement autre chose.
Il y a notamment la scène où Rico et ses amis arrivent au centre de recrutement et sont accueillis par un infirme ; dans le film, l’image contraste de manière superbement ironique avec le propos ("L’infanterie a fait de moi l’homme que je suis"), tandis que dans le roman, le recruteur est là pour dissuader les candidats qui ne sont pas assez sûrs d’eux, et il s’avère que son apparence n’était qu’une ruse, car en civil il a des prothèses motorisées qu'il ne porte pas lorsqu'il reçoit les postulants.
Le film reprend également la première citation du livre, attribuée à un soldat de la 1ère guerre mondiale : "En avant, tas de babouins ! Vous vous croyez immortels ?". Sauf que dans le film, cette réplique est transmise du personnage de Rasczak à celui de Rico, pour montrer que l’endoctrinement a marché, et qu’un cycle se perpétue, où un soldat décédé est remplacé par un autre, et ainsi de suite.
L’idée que les soldats montent en grade très rapidement grâce aux décès dans les rangs est déjà présente dans le roman, mais ce n’est pas présenté de manière critique ou cynique ; l’auteur en profite plus pour appuyer sur les responsabilités qui incombent aux personnages. 

Une différence notable c’est que le protagoniste s’appelle Johnny Rico dans le film, mais Juan Rico dans le livre, car il est Philippin, ce qui est très surprenant pour un livre des années 50, d’autant plus que ses origines ne sont jamais prises en considération, de manière négative ou positive, à part au moment où on les apprend.
Pour les autres personnages, leurs noms sont repris dans le film, mais ils sont très loin d’avoir la même place. Dans le roman, Dizzy par exemple n’est pas une femme mais un homme, qui meurt au début, et n'est pas un personnage important ; et on ne suit nullement les destins croisés de plusieurs personnages, ce qui est vraisemblablement une idée qui nous vient de Verhoeven, puisqu'il assimile le schéma de Starship troopers à celui de son film Hollandais Soldier of Orange.
 
Chez Heinlein, la guerre débute bien avec la destruction de Buenos Aires, mais contrairement au film, ce n’est pas la ville d’où vient Juan, et seule sa mère y meurt (son père survit), chose qu’on n’apprend que bien plus tard, donc ce n’est pas décisif quant au fait qu’il reste dans l’infanterie. Il n’y a pas de moment précis d’ailleurs où Juan décide de rester, ça se fait progressivement ; il s’y fait, lui qui s’engageait pour suivre un de ses amis (comme dans le film). Et alors qu’il voulait devenir citoyen pour avoir le droit de vote et un certain prestige, il finit par se plaire dans l’armée et vouloir y faire carrière.
Par contre, la mort de la mère de Juan, et la décision de celui-ci de s’engager, sont ce qui poussent le père à rejoindre l’infanterie lui aussi ! Et il s’avère fier de son fils, alors qu’il ne voulait pas qu’il s’engage au début de l'histoire ! Car on découvre en fait que le père rêvait secrètement de s’engager depuis longtemps !
On dirait qu’Heinlein cherchait à nous dire que tous ceux qui sont réticents ou opposés à l’armée, même en apparence, finissent par se joindre à ses partisans.
Globalement, Heinlein présente l’armée comme une institution formatrice, qui aide des jeunes comme Rico, qui ne savent pas ce qu’ils vont faire de leur vie, à trouver leur vocation et un sens des responsabilités ; après tout, l'introduction est dédiée à "tous les adjudants de tous les temps qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes". Tandis que Verhoeven et son scénariste, à partir de la même base, mettent l’accent sur la naïveté des jeunes qui s’engagent, leur endoctrinement, et l’absurdité de la guerre. 

Je pense avoir couvert l’ensemble des différences entre les deux œuvres, mais je pense que pour résumer, on peut dire que le film tourne en dérision tout ce que le livre présente au premier degré.
(et que le roman d’Heinlein est soporifique en plus d’être idéologiquement douteux, disons)

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