Starship troopers est un roman de Robert Heinlein
paru en 1959 (et sorti bien plus tard en France, en 1974, sous le titre Étoiles, garde-à-vous !) ; son
adaptation réalisée par Paul Verhoeven est sortie en 1997.
Vous le
savez sûrement déjà, le film a été incompris à sa sortie par certaines
critiques, prenant au sérieux ce que le cinéaste voulait pourtant moquer :
une idéologie fasciste et militariste, avec des personnages qui, pour certains,
ont carrément des uniformes inspirés de ceux des nazis !
Encore aujourd’hui,
l’aspect satirique du film semble être une révélation pour certains (il suffit
pour le constater de voir certains articles récents sur des sites américains ou des
commentaires sous des vidéos Youtube), tandis que d’autres personnes, penchant très à droite, persistent à vouloir prendre au pied de la lettre ce que
Verhoeven tournait en dérision.
Le roman,
par contre, a la réputation d’être, lui, réellement fasciste et beaucoup plus premier
degré ; Verhoeven lui-même racontait ne pas avoir lu plus de deux chapitres, trouvant le livre ennuyeux et trop de droite. C’est son scénariste
Ed Neumeier qui lui a raconté le reste, et le duo a travaillé sur le film en
essayant autant que possible de s’éloigner de l’aspect militariste du livre.
N’étant
personnellement pas friand du film (eh oui, désolé de vous décevoir), je me
suis forcé à lire le livre par curiosité et par esprit de complétion. Je ne
pensais d’ailleurs pas écrire à son sujet, mais il y a finalement beaucoup
à dire.
Le roman
et le film diffèrent énormément, même si leur structure narrative est similaire :
dans les deux cas, ça débute en plein combat, avant de nous ramener au moment
où les personnages terminent leurs études, obtiennent leurs diplômes, et
décident de s’engager dans l’armée, après quoi on suit leur entraînement puis
leurs combats sur d’autres planètes.
Malgré
les points communs d’ensemble, c’est dans le particulier que les différences
entre les deux œuvres s’accumulent.
Si dans
le film les personnages ont des tenues militaires, des protections, et des
armes relativement simples, qui sont proches de l’équipement contemporain tout en
ayant un look un peu plus futuriste, on apprend d’emblée dans le roman que les
soldats combattent dans des scaphandres qui leur permettent de sauter très
haut, se déplacer très vite, résister à la chaleur, communiquer avec les
autres, et ils sont équipés d’armes plus sophistiquées, dont des lance-flammes et
des lance-missiles.
Leurs
ennemis sont un peu plus variés que dans le film : il y a des créatures à
l’aspect squelettique, et toujours des insectes géants, mais capables
d’utiliser des armes à feu et de piloter des vaisseaux ! Les humains sont
donc conscients de leur intelligence, contrairement à certains personnages du
film (ce qui permet d’avancer un propos sur la déshumanisation de l’ennemi pour
se débarrasser de tout scrupule quant à son élimination).
Tandis
qu’une bonne partie du film repose sur des séquences d’action, le roman passe très
peu de temps à nous raconter les combats ; sa démarche est avant tout de
nous décrire le fonctionnement d’une armée du futur, dans ses moindres détails.
Heinlein
s’attarde beaucoup plus longtemps sur l’entraînement militaire ; le roman
dans son édition française fait 315 pages, et ce n’est que vers la moitié
qu’on quitte enfin le camp d’entraînement.
Mais même
une fois que la guerre a démarré et qu’on a le premier combat, le livre
continue à décrire le quotidien des soldats, à parler de la hiérarchie, de la
discipline, …
Puis on
passe à un autre lieu, à bord d’un nouveau vaisseau ou à l’école d’officiers
par exemple, et on nous raconte ce qui se passe quand les soldats ne sont pas
au combat, leurs exercices, les cours, les repos, les permissions, le
protocole, la répartition des personnes dans le vaisseau, … C’est très fastidieux
et ennuyeux.
Et surtout
on se rend compte à plusieurs reprises que l’auteur prend plaisir à décrire ce
qui serait, pour lui, l’armée idéale, puisqu’il passe de nombreuses pages à
expliquer en quoi celle-ci est mieux organisée que l’armée du 20ème
siècle !
Je dois
dire qu’idéologiquement, avant de lire le roman, je m’attendais à pire, mais
mon avis a fluctué à plusieurs reprises, parce que sur certains points,
Heinlein est plus raisonnable et mesuré que ce que je craignais, et sur
d’autres il adopte des points de vue beaucoup plus gênants.
Déjà,
contrairement au film où les soldats tirent sur tout ce qui bouge et qui ne
ressemble pas à un être humain, les soldats du roman s’abstiennent de tuer
quand ce n’est pas nécessaire, en distinguant notamment les ouvrières et les
soldats parmi les Punaises.
Dans le
film, la scène où un des soldats se prend un couteau dans la main a un effet
comique et sert à montrer dans des proportions absurdes le caractère
impitoyable de son supérieur ; dans le livre, la scène prend une toute
autre direction, puisque l’instructeur se sert de ça comme point de départ pour
un discours en faveur d’un "usage mesuré et contrôlé de la
violence" : pourquoi utiliser des armes à feu ou des bombes
nucléaires pour tuer son ennemi, si ce n’est pas nécessaire, et s’il
suffit de le désarmer avec un lancer de couteau ?
Là-dessus,
Heinlein est moins radical que ce que j’imaginais, mais d’un autre côté, il
nous dépeint quand même une armée qui forme ses soldats et les endurcit en
passant par des châtiments corporels extrêmes ou en les laissant carrément
mourir.
Heinlein
a beau présenter un futur dont les usages sont parfois extrêmes, il ne semble
pas en être critique, contrairement à Verhoeven (notamment dans la scène du
couteau, que je mentionnais).
J’ai lu
certaines personnes défendre Heinlein en émettant la supposition que l’auteur
cherchait à montrer l’endoctrinement de son héros par l’armée. Mais à part pour
véhiculer sa propre pensée, je ne vois pas pourquoi Heinlein consacrerait
autant de pages, tout au long de son livre, à laisser des personnages justifier
la discipline, les châtiments corporels, la rigueur, même dans des proportions
absurdes (on parle du droit de tuer un soldat s’il fait preuve de couardise
face à l’ennemi, et on ordonne arbitrairement à un soldat durant l'entraînement de rester sur place sans bouger même s'il doit en mourir).
Les
personnages, aussi bien à l'école que durant leur service militaire, suivent régulièrement des cours d’histoire et
de philosophie, où on leur explique notamment pourquoi leur gouvernement est
plus efficace que tous ceux qui ont existé dans le passé, parce que le droit de
vote a été accordé uniquement aux citoyens, à savoir d’anciens militaires qui
ont prouvé qu’ils plaçaient l’intérêt du groupe au-dessus de l’intérêt
personnel.
On
pourrait sans mal contrer ces idées avec d’autres arguments, mais je doute que
ça soit voulu de la part de l’auteur.
Dans le
film, on n’a droit qu’une seule séquence où un professeur véhicule ce genre de
pensée à ses étudiants, et on y montre surtout l’absurdité d’un personnage
belliqueux, dont les réflexions reposent sur des sophismes.
Le plus
perturbant est assurément tout ce chapitre où le héros déroule sa pensée
pour justifier la peine de mort, tout en critiquant le laxisme de la justice du
20ème siècle. Un chapitre qui ne sert à rien
d’autre qu’arguer que pour certains criminels, la réhabilitation n’est pas
possible, et qu’il vaut mieux les tuer.
Même si
le héros ne formule jamais clairement sa pensée ainsi, en ne terminant pas tout
à fait une de ses phrases, c’est ce qu’il veut nous amener à comprendre.
C’est
d’autant plus vicieux que Robert Heinlein fait parler son personnage depuis le
futur, depuis une position où il sait comment les choses se sont passées à
notre époque, et peut donc juger que la sienne est meilleure, surtout que
dans ce récit fictif, l’auteur
a décidé que le laxisme de la justice était ce qui avait causé
"l’éclatement de la république d’Amérique du Nord" au 20ème
siècle.
Je me
demande ce qui a lancé le projet d’adaptation en film, presque 40 ans après la
sortie du roman. Visiblement, ce n’était pas une idée de Verhoeven, et sa
démarche d’aller à contre-courant du livre ne s’est faite qu'après qu’on lui ait
proposé le projet, je suppose. Il racontait lors d’une masterclass à la
Cinémathèque que personne, parmi les dirigeants du studio, ne se préoccupait
du tournage pendant qu’il était en cours, et ils ont découvert après avec surprise
toutes ces allusions au nazisme dans les décors et les costumes.
En lisant
le roman, on se rend compte que pleins de ses éléments ont été repris par le
film pour en faire totalement autre chose.
Il y a
notamment la scène où Rico et ses amis arrivent au centre de recrutement et
sont accueillis par un infirme ; dans le film, l’image contraste de manière
superbement ironique avec le propos ("L’infanterie a fait de moi
l’homme que je suis"), tandis que dans le roman, le recruteur est là pour
dissuader les candidats qui ne sont pas assez sûrs d’eux, et il s’avère que son
apparence n’était qu’une ruse, car en civil il a des prothèses motorisées qu'il ne porte pas lorsqu'il reçoit les postulants.
Le film
reprend également la première citation du livre, attribuée à un soldat de la 1ère
guerre mondiale : "En avant, tas de babouins ! Vous vous croyez
immortels ?". Sauf que dans le film, cette réplique est transmise du
personnage de Rasczak à celui de Rico, pour montrer que l’endoctrinement a
marché, et qu’un cycle se perpétue, où un soldat décédé est remplacé par un
autre, et ainsi de suite.
L’idée
que les soldats montent en grade très rapidement grâce aux décès dans les rangs
est déjà présente dans le roman, mais ce n’est pas présenté de manière critique
ou cynique ; l’auteur en profite plus pour appuyer sur les responsabilités
qui incombent aux personnages.
Une
différence notable c’est que le protagoniste s’appelle Johnny Rico dans le
film, mais Juan Rico dans le livre, car il est Philippin, ce qui est très
surprenant pour un livre des années 50, d’autant plus que ses origines ne sont
jamais prises en considération, de manière négative ou positive, à part au moment où on les apprend.
Pour les
autres personnages, leurs noms sont repris dans le film, mais ils sont très
loin d’avoir la même place. Dans le roman, Dizzy par exemple n’est pas une femme mais un
homme, qui meurt au début, et n'est pas un personnage important ; et on ne suit nullement les destins croisés de
plusieurs personnages, ce qui est vraisemblablement une idée qui nous vient de
Verhoeven, puisqu'il assimile le schéma de Starship
troopers à celui de son film Hollandais Soldier of Orange.
Chez
Heinlein, la guerre débute bien avec la destruction de Buenos Aires, mais
contrairement au film, ce n’est pas la ville d’où vient Juan, et seule sa mère
y meurt (son père survit), chose qu’on n’apprend que bien plus tard, donc ce n’est pas décisif
quant au fait qu’il reste dans l’infanterie. Il n’y a pas de moment précis
d’ailleurs où Juan décide de rester, ça se fait progressivement ; il s’y
fait, lui qui s’engageait pour suivre un de ses amis (comme dans le film). Et
alors qu’il voulait devenir citoyen pour avoir le droit de vote et un certain
prestige, il finit par se plaire dans l’armée et vouloir y faire carrière.
Par
contre, la mort de la mère de Juan, et la décision de celui-ci de s’engager,
sont ce qui poussent le père à rejoindre l’infanterie lui aussi ! Et il
s’avère fier de son fils, alors qu’il ne voulait pas qu’il s’engage au
début de l'histoire ! Car on découvre en fait que le père rêvait secrètement de
s’engager depuis longtemps !
On dirait
qu’Heinlein cherchait à nous dire que tous ceux qui sont réticents ou opposés à l’armée, même en apparence,
finissent par se joindre à ses partisans.
Globalement,
Heinlein présente l’armée comme une institution formatrice, qui aide des jeunes
comme Rico, qui ne savent pas ce qu’ils vont faire de leur vie, à trouver leur
vocation et un sens des responsabilités ; après tout, l'introduction est dédiée à "tous les adjudants de tous les temps qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes". Tandis que Verhoeven et son
scénariste, à partir de la même base, mettent l’accent sur la naïveté des
jeunes qui s’engagent, leur endoctrinement, et l’absurdité de la guerre.
Je pense
avoir couvert l’ensemble des différences entre les deux œuvres, mais je pense
que pour résumer, on peut dire que le film tourne en dérision tout ce que le livre
présente au premier degré.
(et que
le roman d’Heinlein est soporifique en plus d’être idéologiquement douteux, disons)
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