jeudi 13 janvier 2022

Comparaison film / livre : Elle de Paul Verhoeven / Oh de Philippe Djian

Pour ma vidéo sur Showgirls sortie l'an dernier, je m'étais beaucoup renseigné, non seulement sur ce film-là, mais sur l’œuvre de Paul Verhoeven en général, et bien que j'adorais déjà le cinéaste, je me suis pris d'une passion encore plus forte pour sa filmographie. J'ai voulu tout voir, et une fois que j'ai épuisé les films, y compris les courts-métrages, et que j'ai lu les deux livres d'entretien publiés en France (Au jardin des délices et A l’œil nu), j'ai voulu continuer en me mettant à lire tous les livres sur lesquels étaient basés les films de Verhoeven.

J'ai commencé par l'un des derniers, "Oh..." de Philippe Djian, publié en 2012, devenu le film Elle, sorti en 2016.
Je vais retranscrire ici ce que j'avais écrit sur Twitter le 13 septembre 2021, après ma lecture, afin d'en garder une trace, avant de publier sur ce blog d'autres comparatifs entre les livres et les films.
Je ne suivrai donc pas l'ordre chronologique, mais l'ordre de mes lectures, qui dépendront de mes envies.
En tout cas, les prochains prévus sont Benedetta et Starship troopers.
Par contre je remarque en relisant ce que j'ai écrit sur Elle que ça manquait encore de rigueur, mais les articles suivants seront mieux rédigés.

(Naturellement, il vaut mieux avoir vu le film de Paul Verhoeven avant, pour éviter de se faire spoiler et pour comprendre les situations décrites ci-dessous.)
 
Ce qui frappe en premier avec le roman, c’est sa narration particulière. On suit au départ le fil décousu des pensées de Michèle après son agression, et on ignore pendant un temps de quoi elle parle. Un moyen efficace de représenter l’intériorité du personnage, qui refoule ce qu’elle a vécu.
Par contre, tout au long du livre, il n’y a aucun espace entre les paragraphes, et en allant à la ligne, on passe parfois d’un événement à un autre totalement différent, en un autre lieu, sans qu’on se soit rendu compte qu’il y avait une ellipse. C’est très troublant, et avoir vu le film aide parfois à comprendre certaines phrases et situations peu claires.
A l’écrit, certaines répliques paraissent absurdes et tombent beaucoup plus comme un cheveu sur la soupe (déjà qu’au premier visionnage du film, ça m’avait dérangé), surtout qu’on n’a souvent que de petits bouts de dialogues, où il arrive que quelqu’un pose une question sans que l’interlocuteur ne réponde (soit parce qu’il ne répond pas, soit parce que c’est ellipsé, je ne sais pas, mais ça fait bizarre).
Il y a des scènes qui auraient été ridicules si elles avaient été filmées telles qu’elles sont écrites, comme lorsque Patrick (le voisin) prend la fuite en poussant un gémissement, lorsqu’il a un moment de proximité avec Michèle !
 
Puisqu’on suit les pensées de l’héroïne dans le roman, ses sentiments et ses rapports avec les autres personnages sont beaucoup plus clairs.
Le livre explicite aussi ce qui n’est présent qu’en creux dans le film : pourquoi Michèle ne porte pas plainte (à savoir qu’elle veut rester maîtresse de sa vie, éviter de donner de l'importance à ce drame, notamment pour ne pas que ça entrave son travail).
Il n’y a aussi, contrairement au film, aucune ambiguïté au bout d’un moment sur la relation entre Patrick et Michèle : elle est attirée par lui quand elle ignore encore que c’est son agresseur, et ce qu’elle ressent persiste, malgré elle, quand elle découvre la vérité.
Elle s’engage alors, sans équivoque, dans une relation avec lui, en organisant leurs rencontres, et en mettant à chaque fois en scène leurs rapports, comme s’il s’agissait d’une agression, sans quoi il ne peut être excité !
Et là je me rends compte que, comment souvent avec Verhoeven, c’est l’ambiguïté dans son film qui le rend intéressant. Le fait de ne pas savoir ce que ressent Michèle, si elle agit sciemment, si à la toute fin elle est soulagée ou déçue ou les deux, ...
Le film retire d’ailleurs certaines répliques trop directes, et fait sentir par des actions ou le jeu des acteurs ce qui est exprimé plus clairement sur le papier.
Et en même temps, l’adaptation "complète" en quelque sorte les dialogues dont on n’a que des bribes dans le roman.
L’épisode de "Faites entrer l’accusé" sur le père de Michèle est un des moyens trouvés par Verhoeven et son scénariste David Birke pour expliquer le passé de l’héroïne, raconté en pensées dans le roman.
 
Parmi les principales différences avec le film, on peut noter que :
-Michèle tient une boîte de production ciné, et non une société de jeux vidéo.
-Il n’y a aucune fausse piste sur l’identité de l’agresseur, Michèle ne cherche même pas à enquêter un minimum.
-Patrick est introduit bien plus tard ; au départ il n’est qu’un voisin anonyme qui fait signe de la main, et sa femme est quasiment absente du roman.
-Vincent (le fils de Michèle) sait qu’il n’est pas le père du bébé de Josie, même s’il insiste pour être considéré comme tel.
 
Le film rajoute plusieurs détails qui donnent à Michèle une part d’ombre beaucoup plus marquée : l’achat de la hachette, le club de tir, le chantage et l’espionnage de ses employés, la voiture de son ex qu’elle emboutit, …
Il y a aussi chez Michèle cette dualité chère à Verhoeven dans le film, puisqu’on y laisse entendre que l’héroïne a peut-être été complice de son père, le meurtrier, et il y a cette scène qui nous fait nous demander si elle n’a pas fait exprès de glisser un pic en bois dans le petit-four mangé par Hélène.
En écrivant tout ça, je me rends davantage compte comme le film est beaucoup plus intéressant et riche que le roman, qui m’a un peu ennuyé à force, avec tous ces allers-retours entre Michèle et Patrick, et ces passages d’une intrigue à l’autre.
Je trouvais difficile de s’attacher à Michèle dans le roman, et elle est loin d’être plus sympathique dans le film, mais elle a beaucoup plus de relief.
Bref, si j’avais lu le roman avant, je me serais demandé quel intérêt Verhoeven pouvait y trouver pour vouloir en faire un film. Mais maintenant c’est intéressant à lire pour voir justement ce que le cinéaste en a fait.
 
Ah et ce n'est pas vraiment un souci mais je me demande toujours ce qui a fait que l'auteur a voulu combiner toutes ces histoires sans lien direct entre elles : le viol de Michèle, le père meurtrier, le fils irresponsable dont le couple est voué à l'échec, ...

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